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Le concept d’autonomie alimentaire a pris de la vigueur avec la pandémie de COVID-19 en 2020, alors que les perturbations aux chaînes d’approvisionnement mondiales mettaient à mal notre capacité de nous procurer nos denrées alimentaires. Les récentes tensions commerciales avec les États-Unis n’ont fait qu’exacerber cette nécessité d’acheter plus local.
En entrevue au Magazine MCI, André Lamontagne, ministre de l’Agriculture des Pêcheries et de l’Alimentation, dit croire en la capacité du Québec d’accroître la proportion des aliments consommés ici qui sont produits ici.
« Nous ce qu’on cherche à faire par nos politiques, naturellement c’est d’accroître l’autonomie alimentaire du Québec, d’accroître la capacité du Québec à s’autosuffire un peu davantage chaque jour dans sa production et sa transformation agricole », dit-il d’entrée de jeu.
Il fait valoir que son gouvernement a mis sur pied diverses mesures visant à favoriser l’autonomie alimentaire. Une politique 2025-2035 d’autonomie alimentaire serait par ailleurs sur le point d’être dévoilée.
« C’est économique, c’est une question aussi d’occupation de notre territoire, c’est une question de compétitivité », dit le ministre.
L’occupation du territoire, ça fait vibrer une corde sensible à l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), dont Martin Caron est le président.
L’homme est lui-même producteur de lait, de céréales et de légumes destinés à la transformation.
Il rappelle que c’est l’un des enjeux au cœur de la politique canadienne de gestion de l’offre, où pour le lait, les œufs et la volaille, la production est ajustée aux besoins du pays.
Dans le cadre de cette gestion de l’offre, les producteurs agricoles assument collectivement les prix du transport, de publicité et de recherche et développement.
Cela fait en sorte que, peu importe la distance entre leur site de production et l’usine de transformation, ils paient tous le même prix.
Disséminés aux quatre coins de la province, ils assurent une vitalité rurale dans l’ensemble de nos régions.
« Habiter le territoire, il y a tout un aspect économique qui est là, par rapport aux entreprises qui sont là. C’est tout l’écosystème au niveau de la ruralité. Ça a quand même un impact majeur dans le développement de nos régions », plaide Martin Caron.
Cette uniformité des coûts de transport, peu importe la région de provenance, a par ailleurs des effets positifs sur la santé animale et le prix que paient les consommateurs.
Si ce n’était pas le cas, les producteurs auraient bien sûr le réflexe de s’agglutiner à proximité des usines de transformation pour réduire leurs coûts de transport.
Or, cette promiscuité est fatale en cas de maladie infectieuse, qui se propage beaucoup plus rapidement et facilement. On l’a vu ce printemps aux États-Unis, où la grippe aviaire a fauché des millions de volatiles, entraînant les prix de la douzaine d’œufs à plus de 8 $, un record.
« C’est des grandes entreprises, et les poulaillers sont tous collés les uns aux autres. Alors quand il arrive un impact avec un aspect de biosécurité, une maladie comme la grippe aviaire, il faut que tu fasses l’abattage de tous ces animaux-là », souligne le président de l’UPA.
« La gestion de l’offre, c’est un projet de société pour la sécurité et l’autonomie alimentaire. C’est un choix qu’on fait collectivement au niveau du pays », ajoute M. Caron.
André Lamontagne opine dans le même sens, lui qui a piloté le projet de loi 86 qui a permis de mettre à jour la loi de 1978 administrée par la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ).
« Mon objectif c’était qu’on aille chercher en 2025 un nouveau consensus, une nouvelle entente de toutes les parties prenantes de la société québécoise envers l’importance d’avoir une telle loi et de protéger nos terres et d’avoir un organisme qui s’occupe d’appliquer cette loi-là », dit-il.
C’est bien, mais beaucoup de chemin reste à faire selon le président de l’UPA, qui estime qu’encore trop de terres agricoles voient leur superficie grugée par d’autres utilisations, notamment énergétiques avec l’implantation d’éoliennes ou de lignes de transport additionnelles d’Hydro-Québec pour répondre aux besoins grandissants en électricité des citoyens et entreprises du Québec.
Outre l’espace agricole occupé par les bases de ces pylônes, d’autres considérations sont à prendre en ligne de compte, estime l’UPA.
« Il ne faut jamais oublier que des pylônes pour des éoliennes, c’est pas Bluetooth, ça. Ça prend des fils qui passent dans la terre, ça prend des chemins d’accès », rappelle Martin Caron.
Et tout cela complique le travail des agriculteurs.
Le Québec doit composer avec un climat nordique, et plusieurs types de fruits et légumes ne peuvent pas pousser chez nous 12 mois par année. À moins de les cultiver en serres.
Et ça, c’est cher au cœur du ministre Lamontagne. C’est sous son gouvernement, à l’automne 2020, qu’a été lancé le projet de doubler la superficie des cultures en serre.
« On est venus permettre à de plus petits producteurs de rallonger leur saison, de pouvoir cultiver plus tard dans l’année, de pouvoir commencer plus tôt », indique M. Lamontagne.
« Avec cette stratégie-là, on a plus que doublé les quantités de fruits et légumes qu’on produisait au Québec en 2020 par rapport à aujourd’hui où on est rendus », ajoute-t-il, précisant que des leviers supplémentaires ont été mis à la disposition des producteurs en champs pour qu’ils ajoutent des activités de serres afin de diversifier leurs exploitations, rendant les entreprises plus résilientes.
Cette transformation, le président de l’UPA la constate sur le terrain.
« Il y a eu peut-être 300, 350 nouvelles serres qui ont été développées à différentes grandeurs », indique M. Caron.
« C’est un très bel exemple que, quand nos gouvernements se décident à investir dans un secteur précis, bien ça peut fonctionner. Et là il y a un potentiel qui est atteint, mais on a quand même d’autres opportunités et d’autres potentiels qui sont là dans d’autres secteurs », dit-il au sujet des progrès à venir.
Il y a même des vignes cultivées en serres, qui permettent de produire des cépages venus d’Europe qui ne survivraient pas autrement à notre climat.
M. Caron aime bien le modèle d’affaires combiné où certains agriculteurs cultivent à la fois en serres et dans les champs, ce qui leur permet d’avoir des plans de contingence.
« S’il arrive quelque chose avec mes champs, j’ai au moins une autre source de revenus. Et vice-versa parce que nos producteurs de serres ont quand même des enjeux au niveau des températures, des ravageurs ou des maladies qui peuvent arriver dans les serres », illustre le président de l’UPA.
Les Québécois sont de plus en plus ouverts sur le monde dans leurs pratiques culinaires, et les nouveaux arrivants y ont contribué en amenant avec eux des cultures alimentaires autrefois méconnues chez nous.
Bien avant d’être actif en politique, du milieu des années 80 jusqu’à la fin des années 90, André Lamontagne a lui-même été propriétaire de supermarchés. Il est donc bien placé pour savoir ce que les Québécois mettent dans leurs paniers d’épicerie.
« Depuis nombre d’années, avec l’arrivée importante de nouveaux arrivants, on a vu effectivement de nouveaux mets, de nouvelles saveurs, de nouvelles pratiques. On a vu à quel point les Québécois sont reconnus aussi pour s’adapter et embrasser ces nouveaux goûts-là, ces nouveaux produits-là. On a vu vraiment une très, très grande effervescence », dit-il au sujet de la variété de l’offre aux consommateurs.
Et ultimement, ajoute le ministre de l’Agriculture, si on ne répond pas à leurs besoins, ils vont se tourner vers quelqu’un d’autre qui le fera. Autrement dit, si ce n’est pas disponible au Québec, des gens vont l’importer.
Les importations d’aliments, le président de l’UPA n’a rien contre l’idée en soi, mais considère que ça peut mener à des dérives.
Il donne l’exemple de certaines hormones de croissance utilisées aux États-Unis pour la production laitière, mais qui sont interdites chez nous.
M. Caron souligne d’autre part que 40% des travailleurs agricoles aux États-Unis sont des sans-papiers, payés en deçà du salaire minimum légal, dans des conditions de travail parfois douteuses.
« Ici au Québec et au Canada, on a des règles sur les salaires minimums, les conditions de travail et les conditions de logement pour les travailleurs étrangers temporaires qui viennent ici, et ainsi de suite », ajoute-t-il.
Les Québécois sont-ils donc condamnés à payer plus cher pour leurs produits locaux en raison de ces normes plus strictes?
Pas du tout, rétorque le président de l’UPA, affirmant que, dans près de 66% des cas, dit-il, les produits du Québec ne sont pas plus chers que leurs équivalents importés.
Mais l’environnement d’affaires demeure difficile, notamment en raison des taux d’intérêt élevés qui ont fait chuter de façon drastique les revenus des agriculteurs.
« C’est pas normal qu’ici, au Québec et au Canada, on ait des ententes sociétales pour protéger l’environnement et la planète et que, pendant ce temps-là, on nous amène des produits d’ailleurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes qu’ici », martèle Martin Caron.
Pour le ministre de l’Agriculture, il y a aussi de belles réussites qui méritent d’être mises en lumière, notamment du côté de la transformation alimentaire.
« Le Québec est la province au Canada qui transforme le plus son agriculture primaire. Aux alentours de 67% ou 68% de notre agriculture primaire est transformée », rappelle André Lamontagne.
Il donne l’exemple d’un consommateur qui met des carottes et des charcuteries locales dans son panier.
« Ces carottes ont été lavées, elles ont été mises dans un sac, c’est de la transformation. En même temps, vous pouvez acheter du bon bacon Lafleur, où là il y a toute une transformation additionnelle », illustre le ministre Lamontagne.
Ce dernier travaille par ailleurs à faire augmenter la proportion d’aliments locaux dans les repas qui sont servis dans nos établissements de santé ou nos écoles.
« Aujourd’hui on a identifié un peu plus de 1 500 institutions du secteur de la santé, de l’éducation, de l’enseignement supérieur qui comptent pour à peu près 75% des achats », souligne-t-il.
Pour poursuivre sur cette lancée, encore faut-il assurer qu’il y ait une relève en agriculture au Québec.
À cet égard, M. Lamontagne indique que de nombreux programmes d’aide financière sont disponibles pour les jeunes qui veulent reprendre l’entreprise familiale, ou pour d’autres désireux de lancer en agriculture. Des spécialistes de son ministère sont là pour les accompagner, partout sur le territoire, ajoute-t-il.
De son côté, Martin Caron à l’UPA estime que l’avenir passe par l’automatisation et la robotisation de l’agriculture, notamment en serres, tout comme dans nos grands complexes industriels.
Ces hausses de productivité sont absolument cruciales, parce qu’il y a de plus en plus de bouches à nourrir sur la planète.
« On est à près de huit milliards. En 2050 en va être à neuf milliards, probablement un peu plus », dit-il, citant des sources de l’ONU selon lesquelles il faudra augmenter la production alimentaire de 50% dans cette courte période de 25 ans.
Cela met en lumière l’importance de veiller à notre autonomie alimentaire locale, estime le président de l’UPA, selon qui il faut aussi mettre en place des mesures pour protéger nos riches sources d’eau douce, de plus en plus convoitées à l’international.
Parce que peu importe le contexte, ça prend de l’eau pour faire pousser ce qu’on mange et ce que mange le bétail qu’on consomme.