Par Claude Boucher
S’il y a un mot qui peut décrire l’industrie manufacturière au Québec, c’est bien la résilience. Année après année, les PME du secteur manufacturier québécois ont su se réinventer et faire face aux obstacles qui se présentaient. Portrait de la situation actuelle.
Ces dernières années n’ont pas été faciles pour le secteur manufacturier : une crise aigüe de la main-d’œuvre, chaîne d’approvisionnement défaillante, augmentation des coûts et inflation, et taux d’intérêt en hausse. Et depuis un an environ, la situation a pris une tournure différente sur bien des aspects.
En mai dernier, STIQ présentait les résultats de son 15e Baromètre industriel québécois. L’enquête effectuée en janvier dernier auprès d’environ 500 entreprises québécoises a apporté un éclairage nouveau sur l’état de la situation. Baisse légère du PIB du secteur, stagnation des ventes, augmentation record des embauches et amélioration de la productivité, les résultats du baromètre sont, en un certain sens, paradoxaux.
Afin de mieux cerner l’évolution de la situation, nous avons interviewé le PDG de STIQ, Richard Blanchet. Selon lui, la réalité sur le terrain a évolué.
« Les entreprises ont plus faim qu’avant. Elles sont plus en mode « Je veux de la nouvelle business », c’est plus tranquille qu’avant. Elles doivent se remettre à chercher des clients. Entre 2021 et début 2023, nous étions dans un mode où on refusait des clients, on faisait des choix. Là, les gens se remettent à la chasse. »
Certains secteurs vont encore très bien. C’est le cas notamment de l’aérospatiale. D’autres, comme les entreprises qui desservent les donneurs d’ordres dans les produits de luxe ou de loisir, font face à un plus gros ralentissement.
Cette situation entraine inévitablement un certain ralentissement des embauches, et une plus grande stabilité de la main-d’œuvre au sein des entreprises manufacturières. Si la main-d’œuvre spécialisée continue d’être très recherchée, il n’en va pas ainsi de la main-d’œuvre générale, nous dit Richard Blanchet.
« L’enjeu de main-d’œuvre, qui était criant, est moins là, de façon générale. C’est sûr que les employés spécialisés, c’est encore un problème, mais la main-d’œuvre plus générale, c’est moins un enjeu que ça l’était il y a un ou deux ans. Nos chiffres nous le montrent dans le Baromètre. On a embauché comme jamais en 2023. Oui, on a encore des postes ouverts, mais on en a moins. Et comme c’est plus tranquille, c’est moins criant, moins prioritaire pour l’instant. Ce qui est plus prioritaire, être plus productif, baisser les coûts et développer de nouveaux marchés. »
Si les entreprises québécoises continuent d’afficher un retard avec le reste du Canada et notamment l’Ontario en matière de productivité, cet écart s’est rétréci au cours des six dernières années. Selon les chiffres publiés dans le dernier Baromètre industriel de STIQ, entre 2018 et 2022, l’écart avec le Canada est passé de 8,9 % à 4,5 %, tandis que l’écart avec l’Ontario a diminué de plus de la moitié, passant de 10,5 % à 4,9 % en 2022.
Richard Blanchet se montre toutefois critique de ce calcul de la productivité.
« La productivité mesurée en dollars par heure travaillée. C’est mieux que rien, mais il faut faire attention, ce n’est pas une mesure parfaite. Le Québec exporte des matières premières. Si le prix des matières premières sur les marchés mondiaux augmente, d’un coup, on fait plus de dollars par heure, pourtant on travaille de la même façon, avec le même monde, les mêmes équipements. C’est bien de se comparer, mais il faut aller au-delà des chiffres, des indicateurs, pour voir ce qui se passe. De façon générale, il est reconnu qu’on a un certain retard de productivité, l’écart semble s’être rétréci, mais on a encore du chemin à faire. »
Selon lui, la véritable mesure de la productivité est la capacité des entreprises d’ici à concurrencer des entreprises d’ailleurs lors des appels d’offres de grands donneurs d’ordre.
Parmi les solutions pour améliorer la productivité, l’automatisation et la robotisation sont régulièrement présentées comme indispensables. Toutefois, on le sait, la plupart des PME manufacturières québécoises ne font que très peu de grands volumes, une condition souvent présentée comme essentielle à l’adoption de processus automatisés. STIQ abordera d’ailleurs ce thème lors de sa prochaine conférence sur les enjeux manufacturiers en décembre.
Si on ne peut pas encore parler de grands mouvements vers la robotisation de nos entreprises, Richard Blanchet voit néanmoins un intérêt grandissant chez nos manufacturiers, intérêt qui tire aussi sa source dans les problématiques de main-d’œuvre connues au cours des dernières années.
« Il y a eu une certaine évolution technologique au cours des dernières années. Ça ne sera peut-être pas le robot typique avec une cadence extraordinaire, mais il y a moyen de mettre des robots collaboratifs, qui travaillent à côté d’un être humain, à plus petite échelle. Ce type de technologie est en émergence, on commence à le voir chez nos entreprises. Pas à grande échelle, mais il y a quand même une certaine prise de conscience. Les entrepreneurs savent qu’il faut le faire, ils n’ignorent pas l’importance de ça. On commence à voir une robotisation à plus petite échelle, pour des choses qui ne sont pas répétitives, qui sont très diversifiées. »
La hausse des taux d’intérêt ne frappe pas que le secteur immobilier. Les entreprises manufacturières qui ont dû faire face à des augmentations de coûts avec l’inflation doivent aussi composer avec des coûts d’emprunt fortement plus élevés depuis maintenant près de deux ans. La Banque du Canada a commencé à abaisser son taux directeur en juin dernier. Richard Blanchet estime que malgré les baisses de taux, la situation n’a pas véritablement évolué depuis la publication du Baromètre industriel.
« On a la moitié des entreprises qui ont retardé des projets d’investissement. Aujourd’hui, je ne peux pas dire que ces gens-là se sont remis à investir. Il y a eu des baisses de taux et il va y en avoir d’autres. Si on se met dans la peau d’un entrepreneur, s’il sait qu’il pourra emprunter en février à 0,50% ou 0,75% de moins par rapport à aujourd’hui, c’est un incitatif à attendre un peu, malheureusement. »
Et rappelle aussi que le choix d’investir au cours des prochains mois dépendra aussi de l’évolution de la situation économique. Et cette évolution est plus que jamais liée au contexte géopolitique actuel.
Les élections américaines ne semblent toutefois pas préoccuper nos entrepreneurs outre mesure, nous dit Richard Blanchet.
« Ce n’est pas un sujet dont les gens nous parlent. C’est sûr qu’il y a un certain vent de protectionnisme, peu importe le parti. Mais il y a discours de campagne électorale, et il y a la vraie vie. On n’a pas de clients qui vont prendre des décisions précipitées dans les prochaines semaines pour anticiper les résultats. Les gens vont voir les résultats, et vont agir en conséquence. »
Il ajoute toutefois garder un œil sur le conflit au Moyen-Orient, qui pourrait entrainer des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et des hausses des prix du pétrole. Mais il ajoute que ce n’est pas le sujet de l’heure chez les entrepreneurs.
Parmi les sujets qui préoccupent plus nos industriels, les discussions sur la main-d’œuvre ont fait place à celles sur la relève. Tout comme dans la population en générale, nos leaders d’entreprises se font vieillissants, et un pourcentage élevé d’entrepreneurs comptent passer la main à une relève d’ici les dix prochaines années. Richard Blanchet estime que les dirigeants d’entreprises en sont plus conscients que jamais. Le travail est entamé, nous dit-il, mais certains obstacles restent présents.
« Les gens à qui j’ai parlé me disent que oui, ils ont de repreneurs, ou ils sont en train d’en discuter. L’obstacle principal : l’accès au financement. Il y a beaucoup de gens qui ont de bonnes volontés, mais maintenant, ont-ils les reins assez solides pour acheter l’entreprise? Ce qu’on m’a dit, ces temps-ci, c’est que les banquiers sont plus nerveux qu’ils l’étaient. Les prêts sont peut-être moins faciles à obtenir. »
Et comme dans tout, c’est aussi une question de prix.
« De bonnes entreprises à vendre à un prix raisonnable, c’est peut-être plus difficile à trouver, mais des gens qui sont prêts à acheter, ça ne manque pas tant que ça au Québec. »
Les grands défis à relever? Le développement de marchés, la réduction des coûts, les technologies numériques et la cybersécurité se retrouvent sur le dessus de la pile. À tout cela s’ajoute la réduction de l’empreinte environnementale.