Au milieu des années 80, personne ne croyait Patrice Mangin, chercheur et professeur en génie chimique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), lorsqu’il avait prévenu l’industrie que des années sombres allaient se pointer. Aujourd’hui, force est de constater que les événements lui donnent raison.
Après les fermetures de la papetière Cascades d’East Angus le 2 octobre, de l’usine Laurentide de Produits forestiers Résolu (PFR) en Mauricie le 15 octobre et de l’usine de papier journal de Brompton le 14 novembre, le pire est-il derrière nous ?
«L’un des produits que nous avons dans la mire est le remplacement du plastique sous toutes ses formes.» – Robert Dufresne, vice-président opérations, Produits forestiers Résolu.
Non, croit Patrice Mangin. « Nous assistons présentement à une consolidation dans le papier journal qui se poursuit depuis une dizaine d’années, nous avons perdu les deux tiers de notre capacité de production et d’autres usines sont encore en danger. »
De son côté, le vice-président exécutif et chef de l’exploitation, division des produits industriels chez Kruger, Daniel Archambault, n’a pas voulu confirmer ou infirmer que d’autres usines de pâtes et papiers seront appelées à cesser leurs opérations.
« Quand nous évoluons à l’intérieur de marchés décroissants, il faut constamment regarder nos actifs et nos capacités de production en fonction de ce que nous pouvons vendre et obtenir comme rendement financier acceptable. La demande de papier journal est en baisse de 7 à 8 % par année. Est-ce que nous voulons fermer d’autres usines ? Non. Est-ce que nous voulons en fermer d’autres ? Je ne sais pas. »
Tout le monde sait que le papier journal ne peut plus être au centre des activités et que le modèle d’affaires de l’industrie doit se redéfinir. Les papiers pour magazines, le papier d’écriture pour photocopieurs, les encarts publicitaires, voilà autant de produits où la demande est en chute libre depuis plusieurs années à l’échelle mondiale.
« Cette tendance est là pour demeurer pour des raisons évidentes comme la compétition des médias électroniques et le changement de mode de vie des consommateurs. C’est un secteur du marché que nous voyons s’égrainer année après année », poursuit Daniel Archambault.
Chez Produits forestiers Résolu (PFR), la recherche pour le développement de produits à base de cellulose est à l’avant-plan.
« L’un des produits que nous avons dans la mire est le remplacement du plastique sous toutes ses formes. Que ce soit l’industrie de l’automobile ou de l’emballage, la question à se poser est : comment pouvons-nous développer des papiers qui auront des propriétés aussi intéressantes que le plastique à des coûts concurrentiels tout en étant biodégradables », explique Robert Dufresne, vice-président opérations, Produits forestiers Résolu.
PFR assure que plusieurs de ses usines sont déjà en mode de restructuration et que des essais pilotes comme la transformation du bois en divers produits s’y déroulent sur une base quotidienne.
« Il est certain que le papier d’impression sous toutes ses formes est en décroissance, bien qu’il y aura toujours une place pour une partie de production si petite soit-elle. De plus, nous travaillons sur la façon d’obtenir des combustibles à valeur ajoutée fabriquées dans nos usines. Notre objectif est d’optimiser l’utilisation de la biomasse et les façons d’être plus efficaces plutôt que de simplement la (biomasse) brûler telle quelle pour produire l’électricité dans nos usines de cogénération », poursuit Robert Dufresne.
Chez Kruger, le virage vers d’autres produits est bien amorcé. « Pour le moment, ces produits ne sont pas encore disponibles à grande échelle puisqu’ils sont fabriqués dans nos usines pilotes en partenariat avec FP Innovations. Dès qu’ils seront bien développés, ces produits seront exportés non seulement au Canada, mais à l’étranger, » explique Daniel Archambault.
Et de quels produits s’agit-il ? Daniel Archambault n’a pas voulu en dire davantage puisque cela relève du secret industriel pour le moment.
Chose certaine, plusieurs produits sont en croissance dans le secteur de l’emballage comme le carton double et le carton plat produits à partir de fibres recyclées ou de fibres vierges. Il y a également tous les produits sanitaires comme le papier mouchoir, le papier de toilette et l’essuie-tout. La raison de cette croissance est simple : la croissance est au rendez-vous puisqu’elle est intimement liée à la démographie mondiale.
Patrice Mangin partage le même avis. La croissance du papier sanitaire et de l’emballage est de 2,7 % à l’échelle mondiale, dit-il, une réalité dont on a peine à percevoir au Québec en raison des fermetures d’usines liées à la production de papier journal.
Au Québec, les usines de pâtes et papiers ne peuvent pas produire de papier tissu. Les machines sont trop spécialisées et elles ne sont pas adaptées pour répondre aux nouvelles demandes. Y a-t-il une solution ? Oui et non, répond Patrice Mangin.
« Cela exige des investissements majeurs pour convertir une usine de pâtes et papiers en un nouveau modèle. Et nous n’avons plus ces investissements. De plus, l’industrie forestière a une très mauvaise image vis-à-vis des banques et des investisseurs, ce qui a pour conséquence d’entraîner des coûts d’emprunt énormes à cause des risques évalués. »
À son avis, deux solutions se présentent. La première, pour les usines qui ne sont pas encore fermées, est de fabriquer des produits avec de nouvelles technologies comme la nanocellulose et les filaments de cellulose. La seconde est d’investir massivement dans la modification des opérations des usines.
« Pour atteindre l’objectif, cela doit passer par une volonté politique qui n’est malheureusement pas au rendez-vous. Nos gouvernements ne voient pas l’ensemble des possibilités à venir à cause des difficultés des dernières années. Toutefois, je demeure optimiste parce que ce secteur représente une industrie d’avenir en raison de sa ressource. »
À l’Association technique des pâtes et papiers du Canada (PAPTAC), il nous a été impossible d’obtenir une entrevue, malgré nos messages laissés à plusieurs reprises.
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